À lire : Nélie Jacquemart Artiste et collectionneuse de la Belle Époque, Pierre Curie Jean-Marc Vasseur

Nélie Jacquemart Artiste et collectionneuse de la Belle Époque, Pierre Curie Jean-Marc Vasseur

Catégorie : Biographie Éditeur : Vendémiaire ISBN : 9782363584021 Posté le par Liesel

Nélie Jacquemart Artiste et collectionneuse de la Belle Époque, Pierre Curie Jean-Marc Vasseur


Qui songe à la fondatrice du musée Jacquemart-André – ses noms de jeune fille et d’épouse – en visitant l’une des expositions de peinture présentées chaque année dans les murs de l’élégant hôtel particulier du 158 boulevard Haussmann ? Cette adresse prestigieuse du siècle dernier fut pourtant la demeure d’une femme injustement oubliée, comme nombre de ses pareilles. D’abord artiste peintre puis figure phare de la société mondaine du début du XXème siècle, Nélie Jacquemart-André, restée sans descendance, a légué ses biens à l’Institut de France qui gère encore aujourd’hui le somptueux établissement. Dans le jardin d’hiver où l’amatrice d’art aimait à donner des concerts pour ses hôtes du Tout-Paris, on croit entendre encore le bruissement de l’ourlet de sa robe de soie glissant sur les marches de l’escalier de marbre dessiné par Henri Parent, l’architecte en vogue d’alors. Pourtant, celle qui fut peut-être l’un des nombreux modèles de Proust pour la caricaturalement snob madame Verdurin, n’est pas née “une cuillère d’argent dans la bouche”. 

  Dans leur biographie très fouillée, les conservateurs du musée, Pierre Curie et Jean-Marc Vasseur, décrivent un personnage plein de paradoxes : fille d’une couturière et d’un marchand de peinture ayant sombré dans la pauvreté, Nélie Jacquemart est la protégée de Rose Pamela de Vatry, châtelaine de Chaalis – une ancienne abbaye royale sise dans la forêt d’Ermenonville – épouse d’un député conservateur et figure de la Restauration. C’est auprès de cette femme, qui la traite comme une sorte de filleule, que Nélie découvre la bonne société dans ce qu’elle a de plus large : les voyages, les collections d’art, les bonnes œuvres, mais aussi son volet sombre : l’esprit réactionnaire et puritain, l’autoritarisme social et un nationalisme teinté d’antisémitisme dans le contexte de l’époque de l’affaire Dreyfus.

La destruction de toute la correspondance et des papiers privés de Nélie après sa mort n’aide pas à déterminer la cause de l’intérêt de madame de Vatry pour la jeune fille, comme l’étonnante aisance financière précoce de celle-ci. En effet, Nélie devient “peintresse”, se moque l’acide Edmont de Goncourt, qui affiche son mépris pour toutes les créatrices en général; elle suit les cours d’un atelier privé, l’École des Beaux-Arts étant fermée aux femmes ainsi que la Villa Médicis. C’est après avoir réalisé le portrait d’Édouard André, ancien officier de Napoléon III ayant participé aux campagnes d’Italie et du Mexique, que Nélie entre officiellement dans le “grand monde” en épousant son modèle en 1881. Grand monde qui la suspecte d’être plus intéressée par le compte en banque d’Édouard, fils d’un riche entrepreneur protestant, et lui-même noceur et syphilitique, un peu à la façon de Charles de Foucaud avant sa révélation spirituelle, que par ses affriolantes moustaches ou son charisme. Ce mariage blanc permet également à l’artiste d’étouffer les rumeurs d’homosexualité dont elle était la cible.

Une fois casée, la jeune femme abandonne la peinture pour se consacrer aux collections d’art qu’affectionne son époux et que le couple complète lors de multiples voyages. Veuve, Nélie hérite de l’immense fortune conjugale et partage son temps entre la préparation du musée qu’elle souhaite créer dans sa demeure parisienne et les réceptions qu’elle y donne. Si tout le “gratin”, de Maurice de Waldner de Freunstein, Eugène Melchior de Vogue, la maharadja de Kapurthala, les Rotschild, la famille d’Orléans et bien d'autres, accourt à chacune de ses invitations, ses membres ne manquent pas de se moquer des gaffes ou propos osés de leur hôtesse. Boni de Castelanne écrit ainsi dans ses mémoires : “Madame Édouard André villégiaturait à Thérapie [quartier occidentalisé d’Istanbul]. Nous dînâmes avec elle à l’ambassade d’Angleterre et tandis qu’elle causait avec le maître de maison, on vit, à l’hilarité générale, son jupon se détacher lentement et tomber à terre. Pareille aventure s’était déjà produite à Paris à l’une de ses réceptions. Elle avait la répartie facile. Quelqu’un lui ayant demandé son âge, elle répondit qu’elle ne se le rappelait pas. Comme son interlocutrice insistait, elle lui dit : « Comment voulez-vous que je me souvienne d’une chose qui change tout le temps ? ».

Ce récit d’une trajectoire singulière représentative de la position ambigüe et difficile des femmes dans la société française d’autrefois, donne envie de se précipiter boulevard Haussmann pour redécouvrir ce qui fut sans doute la plus grande œuvre de Nélie : son musée, écrin de ses collections. En 1919, c’est Pierre de Nolhac, expert du XVIIIème siècle et précédemment conservateur du château de Versailles, qui en fut nommé le directeur.