À lire : Locataires et propriétaires, Danièle Voldman

Locataires et propriétaires, Danièle Voldman

Catégorie : Histoire Éditeur : Payot ISBN : 9782228915298 Posté le par Liesel

Locataires et propriétaires, Danièle Voldman


“Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression”, énonce l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, établissant ainsi un lien entre propriété et droits politiques. Cette singulière définition, héritée de la première révolution, imprègne toujours la société française contemporaine, comme le relate ici Danièle Voldman, historienne et chercheuse au CNRS. En dépit d’un titre austère, ce passionnant et clair ouvrage trace sur ces deux derniers siècles, à travers un texte illustré de nombreux exemples et citations pertinentes, la vision française de la propriété, reflet d’une conception politique du monde.

L’on se rappelle ainsi que la “grande Révolution”, si elle permet une refondation des positions sociales hors du système d’Ancien Régime, n’accorde pas les mêmes droits à tous les Français : femmes et pauvres restent exclus de la propriété et du vote, les deux étant indissociables. La Constitution de l’an X, promulguée en août 1802 sous le Consultat, confirme l’établissement du suffrage censitaire masculin restreint (on vote à partir d’un certain niveau d’imposition). Propriétaires et rentiers de ce début du XIXème siècle se protègent derrière une loi qui les privilégie, de peur de laisser participer aux destinées de la nation, chômeurs, mendiants et vagabonds alors légion dans les villes et sur les routes de campagne après les guerres napoléoniennes ayant saigné et désorganisé le pays. La Restauration monarchique poursuit dans la même voie, exigeant, pour être autorisé à glisser son bulletin dans l’urne, d’être un homme de trente ans soumis à un impôt direct d’au moins trois cents francs… Et si, plus tard, le décret du 5 mars 1848 ôte l’obligation de payer des impôts aux électeurs désormais autorisés à voter dès leur majorité, à 21 ans, les femmes sont encore exclues de ce suffrage dit “universel” direct. La Seconde République, instauratrice de la devise “Liberté, égalité, fraternité” affirme qu’elle s’engage à “protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété et son travail (…)” … mais quid des femmes, à nouveau ?

Louis-Napoléon Bonaparte, avant même de s’autoproclamer empereur, rogne les droits civils et politiques des plus pauvres par sa loi de 1849, excluant, notamment, du suffrage “universel”, les locataires impécunieux condamnés pour retard de loyer. L’auteur de “l’Extinction du paupérisme”, pourtant préoccupé par le problème du logement et qui s’essaiera à un programme de construction de maisons ouvrières (à Paris, la Cité Napoléon, rue Rochechouart et celle des 76 pavillons bon marché de l’avenue Daumesnil), creuse les écarts entre riches propriétaires et pauvres locataires par ses programmes pharaoniques de rénovation immobilière si bien décrits par Zola dans les Rougon-Macquart. L’opposition républicaine, avec Jules Ferry comme porte-parole, s’en saisira pour attaquer le régime impérial incarné par Haussmann, le préfet de la Seine à l’origine du Paris moderne mais aussi de l’accélération de l’expulsion des pauvres de la capitale pour cause de trop grande cherté de l’immobilier. Une situation qui perdure, plus que jamais en 2107 ! Les caricaturistes du Second Empire créent ainsi les silhouettes stéréotypées du propriétaire et de son âme damnée, le concierge espion autant que garde-chiourme. Le premier est rebaptisé “monsieur Vautour” et le second “Cloporte” (clos-porte) puisqu’il qu’il vit dans une sombre loge du rez-de-chaussée et que c’est de son bon vouloir d’ouvrir ou de fermer la porte de l’immeuble que dépendent, en premier lieu, les locataires.

Danièle Voldman entreprend l’historique de la saga immobilière française, faites d’exode rural nourrissant la poussée démographique citadine, de rapports entre propriétaires et locataires exacerbés par les crises économiques et les guerres. Si l’apparition du logement social date des années 1890, l’Etat français cherche désormais à se désengager de ce processus d’habitat collectif bon marché, à son apogée durant les “Trente Glorieuses”, période durant laquelle furent créées en très peu de temps les ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité), dans les champs autour des grandes villes pour loger la main-d’œuvre immigrée et, après 1962, les rapatriés d’Algérie. Ces multiples “banlieues” nées brusquement de forêts de chantiers surmontées de grues, à la réputation aujourd’hui si négative, incarnent désormais la pauvreté, l’isolement et la désocialisation. C’est au contraire une “France des propriétaires” que souhaitent favoriser tous les gouvernements depuis ces trente dernières années, grâce à de multiples aides de l’Etat pour l’accession à la propriété privée. Le ministre des Finances Raymond Barre lance ainsi, en 1977, l’APL (l’Aide Personnalisée au Logement) devenu le credo de tout citoyen même peu aisé, mais désireux de s’approprier son “chez soi” et transformé, par-là même, en captif des banques et d’un salaire… Un salaire qui se raréfie en ces forts temps de chômage.