À lire : Souvenirs, 1755-1842, Elisabeth Vigée Le Brun

Souvenirs, 1755-1842, Elisabeth Vigée Le Brun

Catégorie : Autobiographie Éditeur : Tallandier ISBN : 9782847345209 Posté le par Liesel

Souvenirs, 1755-1842, Elisabeth Vigée Le Brun


Son pinceau est incontestablement plus allègre que sa plume, un peu plate, dépourvue de la légèreté acide d’une comtesse de Boigne ou de la profondeur introspective d’une marquise de la Tour du Pin, ses contemporaines. Et si aujourd’hui, on la baptiserait “portraitiste des people” en lui reprochant de faire un peu trop de “name dropping” – elle a immortalisé sur la toile nombre de têtes couronnées, politiques, intellectuels et artistes comme elle se plaît à le détailler entre ces pages – Elisabeth Vigée Le Brun s’avère pourtant une bonne observatrice du monde de l’Ancien Régime puis de ses nostalgiques en exil : “(…) On ne saurait juger ce qu’était la société en France quand on a pas vu le temps où toutes affaires du jour terminées, douze ou quinze personnes aimables se réunissaient chez une maîtresse de maison, pour y finir leur soirée. (…) Une sorte de confiance et d’intimité régnait entre les convives et comme les gens de bon ton peuvent toujours bannir la gêne sans inconvénient, c’était dans les soupers que la bonne société de Paris se montrait supérieure à celle de toute l’Europe.”

Il est aujourd’hui singulier de lire que la ville du Raincy évoque alors le château du duc d’Orléans, Saint-Ouen, la propriété du duc de Nivernais, Gennevilliers la demeure du comte de Vaudreuil ou Romainville le fief du maréchal de Ségur.

La portraitiste avoue une “jouissance d’amour-propre”qui transparaît lorsqu’elle recopie une élogieuse lettre de d’Alembert ou quand elle s’attarde sur les attentions de Marie-Antoinette qui pousse la délicatesse jusqu’à ramasser son matériel de travail tombé sur le sol tandis qu’elle-même en est empêchée par une grossesse. On l’envie quand elle annonce avoir eu Dominique Vivant Denon pour cicerone à Venise ou le prince de Ligne comme cavalier à l’opéra. On la moquerait volontiers lorsqu’elle raconte comment elle snobe le général Duroc durant tout un dîner à Pétersbourg. On la soutient devant son flegme face à l’impétueuse Germaine de Staël qui lui reproche de ne pas écouter attentivement ses tirades raciniennes pendant les séances de pose et aussi lorsqu’elle affronte de misogynes détracteurs qui prétendent qu’elle se fait aider dans ses œuvres.

Mais elle sait aussi se moquer d’elle-même en racontant comment elle doit précipitamment changer sa robe de satin blanc après s’être assise sur sa palette au moment de partir dîner chez la princesse de Rohan-Chabot ou quand elle ne peut résister de grimper sur une balançoire après en avoir chassé ses indisciplinées élèves dessinatrices. Ouverte à l’altérité, elle s’enthousiasme pour les ambassadeurs de Tippo-Saïb reçus à Versailles, “qui, pour être cuivrés, n’en n’avaient pas moins des têtes superbes (…) Je vis ces Indiens à l’Opéra et ils me parurent si extraordinairement pittoresques que je voulus faire leur portrait”. Cette monarchiste convaincue affirme sans rire que la morgue des aristocrates de la cour a disparu à la mort de Louis XV et s’offusque de “l’affreuse année 1789” ou la populace apostrophe ses invités par un annonciateur : “L’année prochaine, vous serez derrière vos carrosses et c’est nous qui serons dedans !”

Au fil de ses pérégrinations professionnelles à travers l’Europe du début du XIXème siècle, elle parsème avec bonheur ses parfois un peu fastidieuses descriptions d’œuvres d’art de très vivants détails. Mais le charme de ce récit rédigé sous le règne de Louis-Philippe tient dans son caractère humain : ”(…) mon cœur a de la mémoire, et, dans mes heures de solitudes, ces amis si chers m’entourent encore tant mon imagination me les réalise.”