À lire : La vie extraordinaire de Mrs Tennant, David Waller

La vie extraordinaire de Mrs Tennant, David Waller

Catégorie : Histoire Éditeur : Buchet-Chastel ISBN : 9782283024911 Posté le par Liesel

La vie extraordinaire de Mrs Tennant, David Waller


“Nous avons fait la connaissance d’une famille anglaise qui demeure à cette maison à contrevents verts (…) Elles sont quatre filles (…) La seconde fille, Gertrude, est très jolie, parle parfaitement français, adore l’actrice Rachel et sait tout Shakespeare par cœur.” Sans doute Gertrude eût-elle apprécié cette flatteuse description de la plume de son voisin de villégiature à Trouville. Ce jeune étudiant en droit aux airs mélancoliques a pour nom Gustave Flaubert et il va s’éprendre de chacune des demoiselles Collier sans pourtant en épouser aucune. Gertrude est séduite par les talents de lecteur de Gustave : “Il donnait même de la grandeur et de l’harmonie à la poésie médiocre grâce à la vision, la passion, le sentiment qu’il y insufflait…” Trente années après, en 1876, la même, devenue madame Tennant, franchit à nouveau la Manche pour rejoindre la capitale française. Gustave y est désormais un écrivain renommé, elle une mère de famille respectable qui ne vibre plus guère à la vue du cinquantenaire replet à moustache de phoque. L’auteur de “Madame Bovary” envoie pourtant ces lignes à son béguin d’autrefois : “Pendant les longues années que j’ai vécues sans savoir ce que vous étiez devenue, il n’est peut-être pas un jour que je n’aie songé à vous.” Ensemble, ils soupent avec Tourgueniev et Hugo, Gustave présente Maupassant à la voyageuse que celle-ci juge “ennuyeux, taciturne et renfrogné.” C’est qu’au fil du temps, l’Anglaise rebelle est rentrée dans le rang de la vie bourgeoise. A vingt-cinq ans, encore célibataire, celle dont le père affirmait, l’ayant privé d’éducation, “Si elle peut danser et signer de son nom, c’est tout ce qui importe”, manifestait des idées plus que hardies pour une femme de son milieu. Gertrude souhaitait, par exemple, échapper aux frivolités mondaines et même “donner une utilité à son existence” hors des sentiers battus du mariage. Mais le destin rattrape cette petite-fille d’un héros de la guerre d’indépendance américaine et d’une descendante de Cromwell. Jetée, dès sa petite enfance, sur la terre de France, elle en reste marquée pour toujours. Gertrude passe ses premières années près des Champs-Elysées puisque ses parents appartiennent à la vague des Britanniques, tels lady Hamilton, Brummel ou le romancier George du Maurier, tentés par une nouvelle vie dans la patrie du roi Louis-Philippe, le successeur de leur ennemi Napoléon. Avec ses sœurs, miss Collier est conviée aux bals pour enfants donnés par la reine Amélie, elle assiste à l’érection de l’obélisque place de la Concorde... En promenade avec son père, Gertrude observe, du haut de leur cabriolet, la foule massée devant la Comédie française pour la première d’“Hernani” le 25 février 1830 et s’en souvient sans doute lorsque, quelques années plus tard, elle est bouleversée par la lecture des “Misérables” et baptise “Cosette” et “Fantine” les poupées de ses propres filles. Influencée par son cousin Hamilton Aïdé, écrivain en vogue de l’époque victorienne, Gertrude, au sortir d’une heureuse mais placide vie conjugale ponctuée par la naissance de six rejetons, se console de son veuvage en ouvrant son élégante demeure de Richmond Terrace pour y tenir le rôle de salonnière. Son caractère sociable autant que curieux l’y prédestinait et probablement a-t-elle trouvé là un moyen d’émancipation tardive. Cette pratique inconnue outre-Manche lui vaut de recevoir ainsi notamment Oscar Wilde, Ruskin, Beatrice Potter, le ministre Gladstone, Mark Twain, le peintre préraphaélite John Everett Millais… Celui-ci portraiture Dolly, la cadette de la fratrie et le tableau intitulé “Non !” devient un emblème du féminisme puisque la jeune fille y lit une lettre de demande en mariage. La même Dolly épousera pourtant plus tard en l’abbaye de Westminster Henry Morton Stanley, l’aventurier qui fit la conquête du Congo pour le compte de Léopold II de Belgique… Pour sa part, Gertrude s’intéresse à l’Afrique à travers le jeune souverain d’Ouganda qu’elle rencontre en 1913 lors d’une soirée théâtrale et à qui elle jure, à 94 ans, “une amitié éternelle !” Les amusantes tribulations de cette contemporaine de la reine Victoria, narrées avec entrain par un ancien journaliste du “Financial Times" et une profusion de détails propres aux biographies anglo-saxonnes, ne manqueront pas de donner envie de relire Thackeray, Dickens ou Troloppe. Et aussi de saluer une fois encore, même si elles ne figurent pas dans l’ouvrage, l’action pionnière des courageuses suffragettes britanniques.