À lire : La vie éclaircie, Danièle Sallenave

La vie éclaircie, Danièle Sallenave

Catégorie : Autobiographie Éditeur : Gallimard ISBN : 9782070129768 Posté le par Liesel

La vie éclaircie, Danièle Sallenave


Il s’agit d’une interview par mails réalisée par Madeleine Gobeil, une universitaire canadienne, mais l’on s’en aperçoit à peine tant le récit de Danièle Sallenave est linéaire et judicieux. Très éloigné de la démarche en vogue de l’autofiction ou du banal livre de souvenirs, l’ouvrage retrace la destinée intellectuelle de l’écrivaine membre du prix Femina qui fut aussi professeure d’université en littérature et histoire du cinéma. Elle s’y révèle fille d’instituteurs des années d’avant guerre, ces hussards de la République tant décriés aujourd’hui dont la narratrice donne, au contraire, une image très positive et se flatte d’assumer l’héritage : “Ce dont je leur sais le plus gré, c’est de m’avoir montré comment vivre la rigueur d’une existence droite, absolument à hauteur d’homme, dans la considération d’un monde acceptable en l’absence résolue et définitive de toute perspective religieuse”. Le souvenir des avions bombardiers et du retour de captivité de son père pendant la guerre de 1940 fait croire à Danièle Sallenave que “la guerre est l’état naturel de l’existence” et la pousse à se réjouir, prudemment, de la récente “exception européenne”. L’écrivaine expose sa conception de la complexité du sujet religieux, insistant sur la différenciation entre foi, pratique et culture. Séduite par le monde antique et sa mythologie libre et joyeuse, elle critique avec une virulence pleine d’humour les trois grands monothéismes dont elle voit l’origine comme “une invention du peuple hébreux cherchant à expliquer et justifier les calamités qu’il subissait régulièrement” : “Lisez la Bible, c’est d’une sauvagerie sans trêve et sans nuance. (…) Les Grecs révéraient un poète, Homère, et une œuvre, l’Iliade et l’Odyssée : que je sache, on ne s’est jamais égorgé en criant « Homère est grand ! »” L’ex-enseignante dit encore le bonheur de transmettre et les échos bienfaisants de cette transmission sur soi-même. Elle raconte sa passion pour le monde du théâtre et son admiration des acteurs. On reconnaît une littéraire épicurienne quand Danièle Sallenave évoque son amour des livres : “Je ne pense pas à eux, les livres étaient les objets du monde, comme les arbres ou le vent, c’était comme si personne ne les avait écrit”. C’est pourquoi elle reprend le terme d’Adorno, “la vie mutilée” au sujet de ceux à qui la destinée n’offre pas l’accès à la “capacité langagière”, y compris parmi les privilégiés “qui ne lisent rien d’autre que leurs dossiers (…) et qui ne comptent que sur Internet pour leur formation générale.” “La vie éclaircie” ou le récit personnel d’une femme remarquable de notre temps, candidate, dit-on, à l’Académie, pour succéder à Maurice Druon. Souhaitons cette entrée à la verte vieille dame du quai Conti qui y gagnera sans conteste !