À lire : La maison de Claudine, Colette

La maison de Claudine, Colette

Catégorie : Autobiographie Éditeur : Livre de Poche ISBN : 9782253004288 Posté le par Liesel

La maison de Claudine, Colette


De Colette, reste l’image de la femme aux yeux trop maquillés recevant les hommages avec flegme, lourde abeille prisonnière du fauteuil du grand âge parmi chats et sulfures dans son appartement du Palais Royal. Ou la photo sépia de l’altière adolescente aux nattes-serpents, assise au creux du hamac du jardin provincial dans l’attente du prince charmant. Lequel sera Henry Gauthier-Villars, Willy de son nom de plume, le viveur parisien maître ès calembours, l’instigateur de la notoriété et du succès facile à travers la série des “Claudine”… Après, surgissent les clichés au parfum de scandale où l’écrivaine pose presque nue, enlacée à l’aristocratique Missy, Mathilde de Belfboeuf, sa maîtresse, la benjamine du duc de Morny et porte-drapeau des lesbiennes parisiennes, deux titres assez incompatibles au cœur de cette Belle Epoque si moralisatrice malgré les feux trompeurs des reflets des hauts de forme et éclats des diamants affichés par ses figures de proue.

Mais sur cette destinée tumultueuse toute en chapitres opposés – plus tard encore il y aura Colette la billettiste inspirée épouse d’un patron de presse puis la belle-mère amoureuse et sans tabou, la maquilleuse à la mode, la mère de famille tardive et déroutée – l’écrivaine a su mettre ses mots. Il faut donc sans doute oublier un peu la femme dont l’histoire filtre le splendide talent littéraire. Avec l’été et ses plages de temps “libre”, replongeons-nous dans les pages de Colette, son style inimitable et réjouissant. Par exemple la “Maison de Claudine”, au titre trompeur puisqu’il ne narre plus les tribulations d’une écolière campagnarde et délurée mais propose une galerie de portraits et un florilège de sensations du temps de l’enfance de l’auteure à Saint-Sauveur-en-Pusaye.

La maison n’est pas celle de Claudine, mais de Sido, la mère de Colette, sa première et marquante interlocutrice. L’écrivaine n’y célèbre pas seulement les bêtes à poils domestiquées mais accorde des lettres de noblesse à l’araignée même, comme plus tard la sculptrice Louise Bourgeois magnifiera aussi l’étrange créature. Dans le jardin de Sido, l’araignée prend des mines d’élégante et sensuelle jeune fille de bonne famille : “Elle descendait lente, balancée mollement comme une grosse perle, empoignait de ses huit pattes le bord de la tasse, se penchait tête la première, et buvait jusqu’à satiété. Puis elle remontait, lourde de chocolat crémeux, avec les haltes, les méditations qu’impose un ventre trop chargé, et reprenait sa place au centre de son gréement de soie…” Une maison d’enfance propice à l'amour de la littérature : “Des romans bourraient les coussins, enflaient la corbeille à ouvrage, fondaient au jardin, oubliés sous la pluie.”

C’est probablement dans la bibliothèque familiale que la petite fille prend le goût du récit  : “Le mur opposé était jaune, du jaune sale des dos de livres brochés, lus, relus, haillonneux. (…) A mi-hauteur, Musset, Voltaire, les Quatre Evangiles brillaient sous la basane feuille-morte. Littré, Larousse, Becquerel bombaient des dos de tortues noires. D’Orbigny, déchiqueté par le culte irrévérencieux des quatre enfants, effeuillait ses pages blasonnées de dahlias, de perroquets, de méduses à chevelure roses et d’ornithorynques. Camille Flammarion, bleu, étoilé d’or, contenait des planètes jaunes, les cratères froids et crayeux de la lune, Saturne qui roule, perle irisée, libre dans son anneau.

Deux solides volets couleur de glèbe reliaient Elisée Reclus. Musset, Voltaire, jaspés, Balzac noir et Shakespeare olive… Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir, après tant d’années, cette pièce maçonnée de livres. Autrefois, je les distinguais aussi dans le noir. Je ne prenais pas de lampe pour choisir l’un d’eux, le soir, il me suffisait de pianoter le long des rayons. Détruits, perdus, volés, je les dénombre encore. Presque tous m’avaient vue naître. Il y eut un temps où, avant de savoir lire, je me logeais comme un chien dans sa niche.” Une bien alléchante invitation à la lecture...