À lire : Danbé, Aya Cissoko et Marie Desplechin

 Danbé, Aya Cissoko et Marie Desplechin

Catégorie : Roman Éditeur : Calmann-Lévy ISBN : 9782757825426 Posté le par Liesel

Danbé, Aya Cissoko et Marie Desplechin


C’est une Parisienne comme celles auprès de qui, avant la Commune, Louise Michel, aimait à dispenser des cours dans le quartier de Château-d’Eau : intelligente, volontaire, issue du “peuple” et dotée d’un “instinct de survie assez développé” tel qu’elle le dit elle-même, Aya Cissoko est résolue à ne pas se contenter du rôle médiocre auquel la société cherche à la confiner. Ce qui ne l’empêche pas de rester attentive aux autres. Elle est la fille d’un Malinké venu en France en 1976 en quête d’un destin meilleur, comme nombre de ses compatriotes et construit par le “danbé”, un principe de dignité, de respect et de maîtrise de soi. Un destin qui pourtant s’achève tragiquement dix ans plus tard, dans l’incendie de l’immeuble insalubre que cet ouvrier de chez Renault habitait avec sa famille. Outre la perte d’une sœur cadette, Aya devient ainsi orpheline de père à sept ans, avec désormais pour seul mentor sa mère, archétype de la femme africaine en exil, perdue malgré son courage et toute sa bonne volonté à élever au mieux ses enfants. Analphabète, sans connaissance ni maîtrise des codes de la société française, Massiré Cissoko est de surcroît soumise à la vindicte de la communauté malienne, sévère à l’égard des femmes seules, y compris les veuves qui se veulent indépendantes. “Poulbote” du quartier des Amandiers près du Père-Lachaise dans la “cité du 140”, la narratrice décrit ainsi le décor de ses premières années : “On meurt beaucoup au 140, c’est sans surprise, d’overdoses, de suicides, de meurtres aussi. Les armes circulent en douce. C’est comme dans un documentaire américain, seulement c’est Paris et c’est chez moi.” Cette élève du collège Robert-Doisneau à Belleville devient donc un temps membre d’une bande de “Fatous”, des filles sans repères principalement préoccupées par la meilleure manière d’importuner les voyageurs du métro et par l’art de la rapine dans les magasins de cosmétiques. Puis Aya trouve un premier salut dans des cours de boxe. Elle s’accroche à son punching ball et aux conseils de l’entraîneur qui croit en son talent, jusqu’à devenir championne du monde de boxe anglaise en 2006. Ses voyages à travers le monde ouvrent l’athlète à l’altérité. Un bac non choisi de comptabilité-gestion – “D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais aimé les chiffres” – suivi d’un passage éclair en fac d’histoire, lui révèlent que “la structure universitaire n’est pas faite pour les enfants comme moi”. Ses différents postes de comptable laissent cette curieuse pugnace insatisfaite, comme aussi le rôle trop consensuel pour être intéressant de “championne issue de la diversité”, icône modèle mais peut-être vaine pour rejetons des quartiers défavorisés… Ce livre, mené d’une plume sobre par Marie Desplechin qui a aidé l’auteure à la rédaction, s’il n’apprend rien qu’on ne connaît déjà des failles de la société française à vouloir réellement offrir des chances à la jeunesse populaire – qui dit populaire dit aujourd’hui pour une bonne partie, issue de l’immigration – incarne avec justesse et émotion le portrait de celle-ci. Et là est notre avenir, quoi qu’en pensent xénophobes, racistes et tous leurs suppôts… L’ouvrage a reçu le prix de l’héroïne Madame Figaro. En le refermant, on songe qu’Aya Cissoko est en effet une femme aussi émouvante qu’admirable par l’introspection qu’elle sait mener à bien et utilement analyser : “Les gamins que nous sommes ne sortent pas comme ça du carcan de leur environnement, seulement parce qu’ils en rêvent. Il faut pour y parvenir, une somme extravagante de qualités, d’intelligence, d’obstination. Il faut une combinaison de hasards, de rencontres, de soutiens. Il faut un entourage, un coin de table pour travailler, un coin d’armoire pour ranger ses livres. Il faut de la confiance en l’autre, en soi.”